Boule de suif by Guy Maupassant (de)

Boule de suif by Guy Maupassant (de)

Auteur:Guy Maupassant (de)
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2012-07-14T16:00:00+00:00


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Or, j’ai eu cette même sensation, l’an dernier, en interrogeant un des survivants de la mission Flatters191, un tirailleur algérien.

Vous savez les détails de ce drame atroce. Il en est un cependant que vous ignorez peut-être.

Le colonel allait au Soudan par le désert et traversait l’immense territoire des Touareg, qui sont, dans tout cet océan de sable qui va de l’Atlantique à l’Égypte et du Soudan à l’Algérie, des espèces de pirates comparables à ceux qui ravageaient les mers autrefois.

Les guides qui conduisaient la colonne appartenaient à la tribu des Chambaa, de Ouargla192.

Or, un jour, on établit le camp en plein désert, et les Arabes déclarèrent que, la source étant encore un peu loin, ils iraient chercher de l’eau avec tous les chameaux.

Un seul homme prévint le colonel qu’il était trahi. Flatters n’en crut rien et accompagna le convoi avec les ingénieurs, les médecins et presque tous ses officiers.

Ils furent massacrés autour de la source, et tous les chameaux capturés.

Le capitaine du bureau arabe193 de Ouargla, demeuré au camp, prit le commandement des survivants, sphahis et tirailleurs et on commença la retraite, en abandonnant les bagages et les vivres, faute de chameaux pour les porter.

Ils se mirent donc en route dans cette solitude sans ombre et sans fin, sous le soleil dévorant qui les brûlait du matin au soir.

Une tribu vint faire sa soumission et apporta des dattes. Elles étaient empoisonnées. Presque tous les Français moururent, et parmi eux, le dernier officier.

Il ne restait plus que quelques spahis, dont le maréchal des logis Pobéguin, plus des tirailleurs indigènes, de la tribu de Chambaa. On avait encore deux chameaux. Ils disparurent une nuit, avec deux Arabes.

Alors, les survivants comprirent qu’il allait falloir s’entre-dévorer, et, sitôt découverte la fuite des deux hommes avec les deux bêtes, ceux qui restaient se séparèrent et se mirent à marcher, un à un, dans le sable mou, sous la flamme aiguë du ciel, à plus d’une portée de fusil l’un de l’autre.

Ils allaient ainsi tout le jour, et, quand on atteignait une source, chacun y venait boire à son tour, dès que le plus proche isolé avait regagné sa distance. Ils allaient ainsi tout le jour, soulevant de place en place, dans l’étendue brûlée et plate, ces petites colonnes de poussière qui indiquent de loin les marcheurs dans le désert.

Mais un matin, un des voyageurs brusquement obliqua, se rapprochant de son voisin. Et tous s’arrêtèrent pour regarder.

L’homme vers qui marchait le soldat affamé ne s’enfuit pas, mais il s’aplatit par terre. Il mit en joue celui qui s’en venait. Quand il le crut à distance, il tira. L’autre ne fut point touché et il continua d’avancer puis, épaulant à son tour, il tua net son camarade.

Alors, de tout l’horizon, les autres accoururent pour chercher leur part. Et celui qui avait tué, dépeçant le mort, le distribua.

Et ils s’espacèrent de nouveau, ces alliés irréconciliables, pour jusqu’au prochain meurtre qui les rapprocherait 194.

Pendant deux jours ils vécurent de cette chair humaine partagée. Puis, la famine étant revenue, celui qui avait tué le premier tua de nouveau.



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